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Anarchiquement vôtre
3 avril 2012

Des tours de vieux

Peut-être connaissez-vous  des vieux, un peu ratoureux, qui  jouent des tours.

 Ils sont drôles, moqueurs ou cyniques,  même  tristes parfois.

Mais ce n’est pas de cela dont je veux vous parler. Bien que …

 

Dans mon quartier il y a des tours d’habitation pour les personnes âgées autonomes.  Elles s’élèvent tout  en hauteur le long de la rivière, et peuvent contenir facilement plus de cents logements. Un genre de « Club Med »,  tout inclus : clinique médicale, pharmacie, piscine, buanderie, jeux en tous genres (billard, pétanque, shuffleboard, bingo …) et des gentils organisateurs pour donner la cadence et divertir les locataires.

Oh! Comme ils sont chanceux, ces vieux.

Je ne sais pas cependant si quelques- uns n’échangeraient pas leur studio de 400 pieds carrées dans ces hôtels  4 étoiles pour un petit  4 ½ dans un haut de duplex de leur ancien quartier.

Certes, ces résidences  offrent maints services de santé, de loisirs et de sécurité et c’est ce qu’apprécient les résidents, mais il y a un prix à payer, celui de vivre « en communauté ».

Deux cents vieux et vieilles, tous ayant atteint  l’âge  d’or, croyez-vous  que ça forme un groupe homogène? Pas du tout.

Paulette aimerait que la bibliothèque achète davantage de roman Harlequin tandis que Marguerite réclame Proust, Camus et Simone de Beauvoir.

Georgette joue au bingo tous les mardis soir mais Yvon n’a pas encore obtenu son club de joueurs d’échecs.

À la salle à manger, Jeannine ne peux pas supporter d’entendre Marcel saper en mangeant sa soupe.

Quant à Georges, il n’y a rien qui ne l’exaspère plus que de voir Roger se traîner les pieds.

 

Il n’est pas si facile de vivre « en gang ».

Depuis 4 ans, je suis témoin,  à chaque semaine,  des aléas de la cohabitation puisque je m’occupe bénévolement d’une petite bibliothèque dans une résidence pour personnes âgées autonomes.

Chaque personne que je rencontre et  avec qui je fais la conversation arrive à m’étonner. Ce n’est pas surprenant, elles ont quatre-vingts ans de vie à me raconter. (Les noms ici sont fictifs mais les personnes bien réelles).

Tiens, il y a Henri, ancien professeur d’arts  plastiques. C’est l’organisateur en chef de la tombola annuelle. Henri ne doit pas mesurer plus de 1 mètre 65. Frêle, l’œil vif, il s’affaire à enjoliver la salle des  loisirs. Lorsqu’arrive la semaine de la tombola, il transforme les lieux en un décor digne des films de Walt Disney.

 

Claire a des doigts de fée. Ancienne couturière qui a trimé dur pour gagner sa vie,  elle est fière de nous raconter comment elle travaillait sur des machines à coudre à 6 fils. C’est une bricoleuse hors pair. Entre la réparation d’un pantalon, la fabrication d’un chapeau ou d’un bibelot et  la correspondance par Internet avec son amoureux, elle n’a pas le temps de s’ennuyer.

 

Paul  est un grand monsieur qui se tient droit comme un i. Il a une jambe de bois, un genou de plastique et une hanche d’alu. Qu’à cela ne tienne, il aime danser. Mais sa spécialité ce sont  les jeux de mots, les phrases célèbres qu.il cite à tout propos  et les histoires un peu salées.

 

Madame De la Durantaye est octogénaire, trilingue et diplômée des Hautes Études Commerciales.  Elle trouve difficilement sa place dans cette résidence qui abrite des gens de classe moyenne. Enfance dorée, élevée par des bonnes d’enfants, cultivée,  le tutoiement ne fait pas partie de ses habitudes. Elle vouvoie son époux dont elle prend soin.  Entre deux sorties au concert, elle aime prendre des responsabilité.

 

Irène est une meneuse qui  aime relever des défis  (comme Madame De la Durantaye d’ailleurs, c’est pourquoi elles ne s’entendent pas).  Irène a donc mis sur pied une petite école. Elle fait la classe une fois par semaine à une vingtaine de résidents. Elle met un temps fou à préparer des exercices pour développer la mémoire, la concentration, le sens de l’observation et plein d’autres choses utiles dans la vie. Elle corrige les devoirs et maintient une bonne discipline dans la bonne humeur. L’école a un succès fou.

Cette activité vient en deuxième place après le bingo.

Je pourrais vous parler encore longtemps de toutes ces personnes que j’aime, chacune dans leur différences, leur originalité, leur façon d’appréhender  la vieillesse.  Que dire de Jacques, 92 ans, devenu expert en informatique et qui s’amuse à numériser ses disques vinyle ou à rédiger de petits textes pour le journal de la résidence.

Ces personnes âgées ont encore une pulsion de vie, un goût du partage, même si Roger se traîne les pieds, si Hubert marche courbé comme s’il portait le poids du monde entier ou si Jacqueline la timide marche les yeux baissés.

 

P.-S. : Ce billet m’a été inspiré par un texte de Zoreilles intitulé Madame B que vous pouvez lire sur son blogue.

 

tours1

(cliquez sur l'image pour entendre la musique)

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Commentaires
C
@ Grand-Langue<br /> <br /> <br /> <br /> En effet, nous passons à côté d’une grande richesse en ne faisant pas davantage de place aux aînés dans notre société.<br /> <br /> Il m’est arrivé souvent de penser que l’arrondissement aurait tout intérêt à consulter Henri, l’ancien prof d’arts plastiques, pour l’organisation de ses activités de loisirs. Ça serait drôlement plus original et créatif que ce que les cadres et les fonctionnaires offrent à la population du quartier. Mais les structures rigides ne permettent pas ce genre de « mentorat ».<br /> <br /> Il en est de même pour Irène et sa petite « école en folie ». <br /> <br /> Cependant ces deux personnes apportent beaucoup à l’intérieur de la résidence. <br /> <br /> Si on faisait plus de place à la transmission des connaissances, de l’expertise et de l’expérience, on s’enliserait moins en essayant continuellement de réinventer la roue. D’autant que c’est parfois à partir de 55 ans qu’on étiquette une personne comme « âgée »!
G
Toutes mes félicitations pour ce magnifique billet!<br /> <br /> <br /> <br /> Ce texte offre de la matière à de nombreux autres sujets, des sujets voisins.<br /> <br /> <br /> <br /> Les maisons auxquelles vous faites allusion sont propices pour certains et constituent un tare, voire un enfer pour d'autres. Notez que ces lieux ne sont pas tous jolis et bien localisés.<br /> <br /> <br /> <br /> Je n'imagine pas ma mère dans un tel lieu à moins d'y être contrainte. Je ne m'imagine pas vivre dans un tel lieu, je préférerais un piètre logis mais situé au centre de la "vie". Malheureusement, avec l'âge, survient la vulnérabilité physique et psychologique.<br /> <br /> <br /> <br /> Ce qui me touche d'avantage, c'est que plus les gens avancent en âge, moins ils sont entendus, écoutés. Nous préférons les "beaux discours et les paroles creuses". Pour un vieillard, c'est ça qui doit être frustrant.<br /> <br /> <br /> <br /> Oh, je sais qu'il existe des vieux qui sont grincheux et qui n'ont rien à dire. Ces gens n'ont jamais rien eu d'important à dire mais d'un autre côté ils sont nombreux ceux qui pourraient nous conseiller, nous diriger même! L'action serait pour d'autres mais les commandes devraient venir d'eux. Ce sont EUX qui savent.<br /> <br /> <br /> <br /> L'expérience de la vie, ça arrive sur le tard. Nos sociétés font fi de cette expérience alors qu'on pourrait éviter des écueils.<br /> <br /> <br /> <br /> Nous travaillons tout au long de notre vie, des tas de choses accaparent nos énergies, notre temps. Quand on devient vieux, retraités, on commence à parler des vraies choses et c'est à ce moment que la société isole les vieux, qui finissent par être considérés comme un "fardeau".<br /> <br /> <br /> <br /> Grand-Langue
C
@ Corinne<br /> <br /> <br /> <br /> Il y a encore beaucoup à faire pour que les personnes âgées vivent dans le respect et la dignité.
C
Que l'humain puisse être de bout en bout humain...<br /> <br /> ce n'est malheureusement pas toujours le cas... Alors c'eest bon de savoir que de tels lieux existent...
C
@ Zoreilles<br /> <br /> <br /> <br /> Au fil des ans, je me suis attachée à plusieurs de ces résidents. Ce n’est pas une résidence très luxueuse, les gens qui y habitent ont des revenus plutôt modestes. Ils ne sont pas tous très actifs (je pense à un monsieur qui passe le plus clair de son temps assis sur un banc dans le corridor et qui somnole mais qui ouvre un œil pour me saluer quand je passe). <br /> <br /> Irène m’envoie régulièrement des courriels, Paul adore me taquiner, me poser des colles et me raconter ses histoires, Claire vient me montrer ses nouvelles idées de bricolage et m’explique le mode de fabrication, Jacques me parle fièrement de ses trouvailles en informatique. <br /> <br /> À tout coup je tombe sous le charme. Ce sont des personnes inspirantes qui n’ont pas eu la vie si facile.<br /> <br /> La résidence n’est pas équipée pour garder des personnes en perte d’autonomie importante. Si c’est le cas, on les dirige vers les CHSLD et ça fait un deuxième déracinement.<br /> <br /> Mais je sais ce que représente la perte d’autonomie, ma belle-mère ayant souffert de la maladie d’Alzheimer. Ça c’est un naufrage et c’est très souffrant pour la personne atteinte et pour les proches.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Lorsque tu viendras à Laval, « take a kayac » et traverse la rivière, j’habite juste sur l’autre rive.
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