S’accommoder d’accommodements pendant 40 ans
Synonymes : se résigner, s’arranger, se soumettre, se conformer, se plier.
40 ans d’adaptation, de résignation, de soumission. Quel calvaire pour que l’Église divorce de l’État!
Ça l’Air fou, dit comme ça, mais c’est, à peu de chose près, ce qui s’est vécu dans les écoles publiques de la Sainte province de Québec depuis 40 ans.
À la suggestion de Zed, et pour ajouter un complément à l’actualité des dernières semaines, je vous résume succinctement cette bataille que j’ai menée pour l’obtention d’écoles laïques au Québec. « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ne peuvent pas connaître ».
Fin des années 70, l’enfant tant aimé et non baptisé doit faire son entrée à l’école. C’est le grand jour.
« C’est le grand jour
Bientôt l’ange mon frère
Partagera son banquet avec moi
Des pleurs de joie humectent ma paupière
Ô mon Jésus, je cours, je vole à toi. »
(chant chrétien)
Eh! Oui, des pleurs humecteront nos paupières mais elles ne seront pas de joie.
En cette « sainte semaine », voici donc mon chemin de croix.
Première station. Le Christ tombe … des nus pour la première fois.
À l’inscription, on nous demande le certificat de baptême. Et vlan, l’enfant n’a qu’un certificat de naissance. La haute direction s’informera si elle peut accepter cette petite dérogation. C’est la stupéfaction.
Deuxième station. Le Christ tombe … de Charybde en Scylla pour la deuxième fois.
Les parents de l’enfant adoré remplissent le formulaire de demande d’exemption de l’enseignement religieux fourni par l’AQADER (Association Québécoise pour l’Application du Droit à l’Exemption de l’Enseignement Religieux).
Trois enfants dans l’école, qui en comptent environ 600, seront exemptés (2 témoins de Jéhova et notre bambin chéri.) Pendant le cours de catéchèse, le petit doit sortir de la classe et s’asseoir dans le corridor près de la porte de la directrice! (Après 3 mois de corridor et un brin de causette avec le chérubin, nous nous sommes résignés et le fils bien-aimé a assisté au cours de catéchèse pour la fin de sa première année. Le combat n’a pas cessé pour autant.
Troisième station – Après être tombés de haut, les « p’tits christ » se relèvent.
Après des luttes épiques, le MLQ (Mouvement Laïc Québécois) obtient que l’exemption soit assortie d’un choix entre le cours de formation morale et celui de catéchèse … (si le nombre le permet). Hum!
L’écolier assistera donc au cours de formation morale qui malheureusement n’est pas toujours donné en même temps que le cours de catéchèse mais parfois pendant le cours d’éducation physique ou d’arts plastiques. Vous en connaissez beaucoup d’enfants qui sont heureux de manquer le cours d’éduc. pour assister au cours de morale?
Qu’à cela ne tienne, en cas de conflit d’horaire nous exigerons qu’il puisse choisir entre le cours d’éduc ou d’arts plastiques et celui de morale. Madame Pète-sec, directrice, nous semonce: « Y pensez-vous, madame, ce sera l’anarchie dans l‘école ».
Calvaire qu’on s’est dit, ce sera l’anarchie ost… Et le petit prince a choisi.
Et puis le petiot a vieilli, il a eu une petite sœur, et la famille militante et bien soudée a fait sa propagande. À l’école, ils furent plus nombreux à faire la demande, on avançait sur le chemin de Damas.
Ce n’est qu’à la fin des années 90 (environ 25 ans plus tard) que les commissions scolaires ont été déconfessionnalisées. La déconfessionnalisation des écoles viendra par la suite. Le chemin de croix s’est fait à petits pas de bigotes, lentement, les fesses serrées, l’Association des Parents Catholiques veillant au grain.
Parfois, lorsque je lis les journaux aujourd’hui, j’ai l’impression de refaire mon chemin de croix à l’envers et je me dis que si nous avions contribué généreusement à la caisse électorale des partis politiques, la longue marche vers la laïcité des écoles se serait peut-être résumée à une petite balade agréable dans les bureaux des ministres.
En tout cas, l’enfant est devenu adulte, développant son esprit critique, son sens moral et un bon jugement en apprenant à penser par lui-même. Mais ses fillettes devront-elles subir aujourd’hui le même calvaire? Le divorce ne semble pas tout à fait réglé au Québec entre l’Église et l’État?
Pour ma part, je continuerai à lutter. Sachant que maintenant on peut afficher quelque croyance que ce soit, à peu près n’importe où, je pourrai dorénavant porter sans problème ce t-shirt dans une classe, comme enseignante, sans que le Christ tombe pour une xième fois… de sa chaise.